Lola tourne la tête vers la copine qu’elle avait traîné en ville « juste pour faire un tour ». Mila, c’était un peu la fille qui avait pioché toutes les cartes qu’elle n’avait pas elle-même prises dans la vie. Une belle tête blonde qui avait tendance à réfléchir avant d’agir et de se mettre à s’énerver. Pas du tout comme elle quoi. Mais elles avaient bossé au même endroit pendant une petite période il y a quelques années et le feeling s’était fait. C’était peut-être justement parce qu’elles avaient des caractères si différents… En tout cas, Mila avait réussi autre chose que Lola n’avait pas encore atteint niveau but : elle possédait son propre salon. Et petit pincement de jalousie mis à part, Lola trouvait ça vraiiiiiiiment cool pour elle !
Née à un mois presque tout pile d’intervalle, Lola se plaisait parfois à faire comme si elles étaient un peu sœurs. Aucune idée si ce sentiment était partagé mais ça rendait les sorties qu’elles s’accordaient de temps en temps encore plus sympa aux yeux de Lola. Et puis tout simplement : la rouquine (en ce moment quoi…) ne savait pas faire autrement que de s’investir beaucoup dans cette relation. Peut-être qu’elles ne s’échangeaient pas tous leurs petits secrets comme deux ados et qu’elles n’étaient pas « toujours d’accord » l’une avec l’autre mais c’était une belle relation complexe et entière comme Lola les aimait tout de même.
« Putain toute cette fumée c’est dingue ! »
Gobelet de café dans une main, Lola s’était arrêtée sur son bout de trottoir, comme pas mal de monde. Mila et elle se contentaient de se balader et de s’arrêter de temps en temps dans une boutique pour le plaisir des yeux et parfois le désespoir du portefeuille mais là, ce qui retenait leur attention, c’était un incendie, à deux pas de l’endroit où elles se trouvaient. Une fenêtre venait quasi d’exploser à l’étage d’un petit immeuble décrépit et au loin on entendait déjà les sirènes hurlantes des pompiers.
« Tu crois qu’il y a du monde là-dedans ? »
Un peu au même moment où elle le dit, du monde apparaît à la fenêtre qui avait explosée un peu plus tôt et la main de Lola se crispe sur son gobelet. Elle avait le cœur qui battait soudainement à cent à l’heure et pourtant elle n’était que spectatrice. Sa main libre attrape le poignet de Mila pour le serrer et de sa main tenant le gobelet, elle montre la fenêtre, même si son amie avait déjà dû voir la femme à la fenêtre et le gamin qu’elle avait dans les bras.
« Là… »
Elles auraient peut-être dû partir au lieu de regarder, surtout que la fumée était partout à présent, un peu opaque… Elles étaient si proches que ça lui piquait déjà un peu les yeux et les pompiers, avec la dextérité de l’habitude, les forces à reculer pour faire leur périmètre. Celui qui venait de s’approcher d’elle était beau garçon, afro… Le genre mille fois trop occupé par son job pour les remarquer elles mais hé…
« Quand même, si mon mec était pompier je serais super flippée, pas toi ? »
La grande échelle commençait à être approchée de la fenêtre, on pouvait espérer un dénouement heureux… En tout cas pour la femme et le gamin quoi. Lola porte son café glacé à ses lèvres, sentant à peine le goût de l’expresso et du caramel qu’elle y avait fait ajouter. Et histoire de détendre un peu l’atmosphère, retrouvant le joli regard clair de sa copine, Lola a un sourire amusé.
« C’est quand même dommage parce qu’il y en a, on leur ferait pas mal hein… ! »
Et même plutôt du bien ! Pas étonnant que les calendriers de pompiers se vendent si bien… ! Mais ils n’étaient pas tous roulés comme ceux sur papier glacé quoi… Bref, sujet pas mal plus léger que celui des victimes potentielles. D’ailleurs, jetant un nouveau regard un peu angoissé à la femme :
« Je peux pas imaginer ce qui se passe dans sa tête. »
Si c’était elle, à sa place, avec Miguel. Elle serait en panique. Mille fois plus que cette femme elle avait l’impression. Est-ce que ça voulait dire qu’elle était une moins bonne mère qu’elle ?
Mila Hartwood
Mila Hartwood
➤ LIEU D'HABITATION : Albany Park
➤ EMPLOI / ETUDES : Tatoueuse dans son propre salon, une passion qui rythme sa vie depuis des années maintenant.
C’est vrai, Mila avait raison. Lola s’en veut un peu de n’y avoir pas songé toute seule mais elle est davantage soulagée qu’autre chose. Il n’y avait sûrement pas grand monde là dedans. En tout cas son angoisse semble être partagée. C’était une chose que d’entendre parler d’un incendie, de ses survivants et même de ses victimes. Mais s’en était une autre que d’être aux premières loges, de ressentir la peur jusqu’ici, de l’autre côté de la rue.
Mais Mila avait hésité, à propos des pompiers. A propos du caractère dangereux de leur métier. Non ? Lola s’arrache à la contemplation un peu morbide de l’incendie pour poser un regard un peu curieux sur sa camarade. Elle connaissait Mila depuis qu’elles étaient gamines et sans la connaître « par cœur », sans pouvoir deviner ce qu’elle pensait rien qu’à la regarder, elle savait quand même dire lorsque son esprit semblait accaparé par autre chose hein.
« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? A quoi tu as pensé ? »
Elle était beaucoup trop curieuse pour lâcher le morceau à présent ! Par contre un sourire un peu moins crispé passe sur ses lèvres à propos des numéros à gratter.
« Ils auront mieux à faire si tu veux mon avis. »
Pas qu’elle serait forcément contre tester la peau d’un sapeur du feu, juste histoire de voir s’ils brûlaient aussi de l’intérieur et s’ils étaient bouillants… ! Mais la vérité c’est qu’en ce moment elle avait son démon de minuit personnel. Et Lola était en plein dans une phase « Stanley » comme ça lui arrivait de manière un peu trop récurrente. Dans ces moments là, elle n’avait pas envie de rencontrer d’autres hommes. Et c’était chiant. Du coup elle hausse les épaules.
« Laisse-tomber. Une autre fois. On ira squatter le bal des pompiers tiens… ! »
Elle rit, même si le cœur n’y est pas entièrement à cause du moment stressant. En plus, elle ne voudrait pas qu’autours d’elles les gens se méprennent sur la raison de ce rire. Elle ne riait pas parce que cet incendie avait quoi que se soit d’amusant.
Lola en revient au spectacle à la fois trop lent et trop rapide. Mais Mila avait raison cette fois encore. Du moins elle l’espérait. Il lui semblait que la grande échelle se mettait en place avec une lenteur exaspérante. Quant au pompier qui se tenait prêt à y grimper, il ne semblait rien vouloir précipiter. C’était sûrement lui qui avait raison hein… Il n’empêche qu’elle aurait aimé lui hurler de se dépêcher, qu’une femme attendait avec son gosse là haut !
Et si elle pouvait ressentir la chaleur mordante sur sa peau et l’odeur suffocante de la fumée de l’endroit où elle se trouvait, Lola ne pouvait pas imaginer comme la chaleur devait être insupportable et l’air irrespirable, là haut.
« C’est vraiment pas comme ça que je voudrais mourir. Ni noyée. Ca doit être horrible ça aussi. »
Ok, c’était un peu morbide comme conversation et Lola grimace. L’échelle est enfin mise en bonne position, le pompier monte lentement quoi que de toute évidence sans prendre de longueur non plus. A la fenêtre, la femme tient le gamin à bout de bras. Les forces lui manque à un moment, elle le lâche et comme le reste de la foule, Lol a un cri d’impuissance et de peur avant de mettre ses mains devant ses yeux pour ne pas voir ça ! Mais quelques expressions soulagées et autres applaudissements lui font rouvrir les yeux pour voir que le pompier, dans un équilibre précaire, a réussi à rattraper le p’tit… !
« Bordel… j’ai faillit avoir une attaque ! »
N’empêche :
« Ok je serais super flippée… Mais super fière aussi. »
Les soldats du feu ne portaient pas ce nom pour rien hein…
Encore vrai. Elijah Hartwood avait choisit une voie difficile, surtout dans la ville de Chicago. Pour ce que Lola en savait, il marchait dans les traces de son père. Le rôle de policier pouvait être particulièrement ingrat et les tensions sociales leurs donnaient rarement le beau rôle, même lorsqu’ils faisaient de leur mieux, comme elle était sûre que c’était le cas pour Elijah.
« C’est vrai, pardon. J’ai tendance à oublier. »
Pourtant à une époque Lola avait eu le béguin pour lui. Mais c’était avant, bieeeen avant qu’il soit flic. A une époque où elle en était encore à coller des paillettes sur le tissu de sa trousse et à dessiner des petits cœurs à la place des points de ses « i ». C’était avant même qu’avec Stan ça commence à merder. Ou alors un peu en même temps. Disons qu’elle espérait pouvoir attirer une attention plus saine d’un garçon de son âge à l’époque, plus ou moins consciemment. Bref.
Lola lève quand même les yeux au ciel pour le bal des pompiers mais sans en rajouter. Elle donnait le change mais clairement ça ne l’intéressait pas. Ca aurait dû, pourquoi pas ? Mais elle était restée bloquée dans son célibat après le père de Miguel. Comme un mini traumatisme pas tout à fait réglé. Et puis il y avait Stan et ça l’énervait un peu d’y revenir comme si c’était toujours le grand argument de sa vie.
« Je le disais surtout pour toi là… ! Fut une époque tu étais plus audacieuse il me semble ! »
Plus fêtarde, plus du genre à se retourner sur les jolis minois, peut être même ceux féminins. En tout cas Lola hausse les épaules à propos du choix de sa mort. Elle se garde de signaler qu’elle pouvait avoir le choix si elle le décidait parce que décidément cette conversation serait trop morbide. En plus elle voulait pas passer pour quelqu’un de suicidaire parce que c’était pas du tout son état d’esprit. Lola aimait beaucoup trop la vie pour ça.
Mila toussote avec la fumée et Lola vient crocheter son bras du sien, la poussant un peu pour l’encourager à décoller du bout de trottoir où elles ont pris racines.
« Allez viens, on s’en va. Je préfère arrêter sur une note positive. »
La femme et le gamin qui s’en sortait. Pas question de rester voir si d’autres s’en sortaient moins bien ou si quelques pompiers étaient blessés dans la manœuvre.
« Je suis sûre que oui. »
Avec une voix qui trahissait une conviction venue de nulle part et basée sur aucune expérience mais bon.
« Les familles vont les prendre en charge, c’est toujours ce qu’elles font ! »
Parlant de famille :
« Comment vas ta mère ? »
Elle essayait de changer le sujet histoire qu’elles s’éloignent physiquement de l’incendie mais psychologiquement aussi. Quelque chose lui disait que lorsqu’elle rentrerait chez elle, Lola irait balancer ses fringues dans une machine et prendre une bonne douche histoire de faire partir l’odeur de fumée qu’elle avait toujours dans le nez...
Oui mais bon… Lola le connaissait bien plutôt bien celui-là même si c’était vrai de dire qu’elle ne l’avait plus croisé depuis un long, un très long moment. Mais les gens avaient comme la curieuse tendance à repoper dans sa vie en ce moment. Par contre l’information est bousculée par une autre et Lola a un « ho ! » surpris et même stupéfait ! En fait…
« Je me souviens que tu m’en as un peu parlé... »
Elle se sentait un peu coupable de ne pas avoir compris que cette histoire là était sérieuse au point que quelques mois plus tard, le couple de son amie soit toujours d’actualité ! Mila était une très belle femme, capable de charmer à peu près n’importe qui et elle ne s’était jamais vraiment privé. C’était quelqu’un qui savait ce qu’elle voulait dans la vie… Mais du coup, histoire de rattraper le temps perdu, Lola devant avec curiosité et enthousiasme, chassant les vestiges des souvenirs de l’incendie :
« Allez ! On reprend depuis le début alors ! Dis moi tout ! Il s’appelle comment ? Il fait quoi dans la vie ? Tu as une photo ? »
Les bases quoi ! Lola a un bref petit éclat de rire avant d’acquiescer à propos de la mère de Mila. Elle gardait d’elle le souvenir d’une femme positive et bonne cuisinière. Ca semblait too much comme souvenirs mais la dernière fois que Lola l’avait vu elle devait être adolescente on s’entend… A propos de ses propres parents elle acquiesce à nouveau comme pour renforcer le ton positif tandis qu’elle assure :
« Ils vont bien. Et Miguel aussi. En ce moment il se met beaucoup au dessin… ! »
C’était une petite fierté même si bon… Lola savait que ce n’était pas ELLE le nouveau modèle de son bébé quoi.
« Il vient d’entrer « chez les grands » comme on dit. Apprentissage de la lecture, devoirs à la maison… C’est une grosse année pour lui sur le plan scolaire. »
En même temps qu’elle le dit, Lola lève les yeux au ciel en se taclant toute seule :
« J’ai l’impression d’avoir 10 ou 15 ans de plus quand je me met à parler de ces trucs. C’est l’impression que je donne pour de vrai ? »
L’estomac de Mila semble néanmoins se rappeler à elle et Lola lui fait signe de procéder.
« L’appétit vient en mangeant de toute façon. »
Elle était souvent appétit d’oiseau et paradoxalement elle avait tendance à avoir les yeux beaucoup plus gros que le ventre, avec un goût marqué pour les pâtisseries et autres plats sucrés. Heureusement qu’elle avait une constitution pas trop dégueux et qu’elle se dépensait parce que sinon outre le fait que son indice glycémique aurait pété l’échelle, sa balance à la maison l’aurait bitché sévère…
« T’as une préférence pour le type de cuisine ? »
Lola était un peu ouverte à tout là… Comme elle n’avait pas aussi faim que Mila sur l’instant, elle n’avait pas forcément autant envie qu’elle d’un truc en particulier.
Mais visiblement ça avait changé ! C’était devenu très sérieux. Assez pour que Mila se fasse plus sage et qu’à la simple évocation de ce fameux copain elle devienne toute songeuse quoi ! Lola apprend son prénom, ce qu’il fait dans la vie… Et taquine envers sa copine, elle constate :
« Ha ! On aura plein de choses à se dire lui et moi ! »
L’espagnol, c’était quand même la langue qu’elle parlait presque toujours avec ses parents quoi. Avec Miguel aussi, pour qu’il ne perde pas ses racines. Lola n’avait peut-être jamais connu le Mexique au-delà de visite dans de la famille mais elle l’avait dans le sang et dans leurs cultures on ne pouvait pas renier ça.
« Il donne des cours de quel niveau ? »
Ca avait l’air d’une tête le nouveau copain de Mila, vu comme ça ! Et même si à son niveau Miguel n’avait encore besoin de rien, ça valait peut-être le coup de se renseigner pour plus tard… Bref… ! Lola se penche un peu, tout en continuant de marcher, sur la photographie. Un selfie de couple ! Elle glousse légèrement avant même tout commentaire sur la photo en elle-même, taquinant à nouveau :
« J’ai atteint un but dans ma vie : j’ai vécu assez longtemps pour te voir avec ce petit air amouraché sur la figure ! »
Mais plus sérieusement, regardant mieux la photo, elle peut voir que ça semble un minimum réciproque. Il était très typé, ça les présentait comme un joli couple mixte et ça allait bien avec le melting pot de Chicago, sans doute.
« Vous êtes super mignons. Et vous ferez de beaux bébés métis ! »
Oui bon ça va, elle blaguait mais quoi ? Ca restait une étape future si jamais leur relation se poursuivait tranquillement. Une part de Lola était un peu jalouse d’ailleurs. Elle elle avait tout fait dans le désordre probablement et à ce rythme elle finira sa vie de célibataire en ayant connu qu’un homme dans sa vie !
Lola a un petit clin d’œil complice pour Mila alors que cette dernière lui évite de prendre 15 ans d’un coup ! Et puis pour le dessin, elles se comprenaient !
« Mais je crois que c’est plus la BD qui l’attire. Nul n’est parfait ! »
Y a encore quelques semaines elle aurait vraiment eu les boules que ça lui vienne de Stan. Aujourd’hui ça allait, parce que tous les deux ils avaient apaisé quelques tensions même si ça restait globalement imparfait sans doute.
Quant au burger, c’était la solution facile et Lola pointe le premier sur leur chemin en interrogeant Mila du regard… Et comme ça semble le faire, elles en pousse la porte.
« Je vais juste me prendre des frites et une glace. Entre la chaleur et l’incendie, ça m’a finalement donné envie. »
Lola se pose dans une file d’attente avant d’en revenir à Mila toutefois :