Cette affirmation surprend Lola qui a un petit gloussement. Bon en même temps ça faisait sûrement un moment que Mila n’avait plus eu l’occasion de venir chez ses parents et en dehors d’un cercle de connaissances restreint, Lola n’avait pas vraiment l’occasion de parler espagnole. Elle devait en tout cas s’être drôlement américanisé pour que se soit aussi invisible. L’accent aidait aussi probablement. l’accent américain, il va de soit. Bref !
A l’information suivante Lola se contente d’acquiescer sans en rajouter parce qu’en général ces cours particuliers étaient pour des cursus en particulier. Un niveau à ne pas dépasser bien sûr mais aussi l’âge des élèves qui ne devaient pas forcément être trop bas parce que ça demandait une pédagogie très différente et BEAUCOUP de patience. De toute façon c’était pas vraiment un projet et quelque part pour le bien être scolaire de son fils Lola espérait qu’il n’en aurait pas besoin.
Mila semble plutôt arrêté sur une décision précise au niveau des enfants par contre. C’est vrai que l’occasion d’en parler ne s’était jamais présentée et pour cause : Mila dévorait sa jeunesse à pleines dents. Elle aurait eu tort de se priver remarquer.
« Tu n’en veux pas ? »
Et d’assurer dans la foulée :
« C’est pas une tare. Les femmes sont pas des usines à bébés. »
Même si c’était pour en faire un seul, par exemple. On était à l’ère de la révolution féminine et les femmes avaient le droit d’écouter leurs envies comme leurs corps.
« De toute façon je plaisantais, vous avez le temps de voir venir. »
Lola reste pensive à propos de cette conversation néanmoins. A parler de la vie privée de Mila et pas du tout de la sienne, elle se demandait si Mila supposait juste -à raison il est vrai- qu’elle n’avait personne ou qu’elle n’aurait jamais personne. Ca la rendait un peu triste d’imaginer qu’elle puisse ainsi renvoyer l’image d’une nana qui resterait vieille fille… Elle ne se sentait vraiment pas comme ça.
Elle sourit néanmoins à propos de Miguel qui se trompait de vocation, se la jouant diplomate :
« Il a encore le temps de changer d’avis. A un moment les tattoo vont sûrement devenir cool dans sa tête, je compte là dessus… ! »
Et en même temps pas trop non plus. C’était pas parce qu’elle ça l’avait branché très jeune qu’elle souhaitait nécessaire que Miguel se lance là dedans trop tôt ! C’était un peu le concept de « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Mais Lola rebranche un peu sur l’opportunité qui lui est offerte et elle acquiesce.
« Ca me ferait plaisir. Là je suis un peu booké avec des rendez-vous… Mais on s’organise ça le mois prochain ? »
Et même :
« Une journée marathon ? »
Le genre de truc qui vous laissait bien rincé après toute une journée et jusqu’à tard le soir… Mais avec pleiiiin de tatouages sans rendez-vous. Elles étaient encore assez jeunes pour affronter ce genre de journées non ? Bon après Lola avait un sens trop aigu du détails, elle « perdait » toujours en terme de nombre de tatouages à la fin de la journée mais tant que tout le monde repartait content c’était le principal… !
Le petit côté féministe de Lola frise un peu lorsque son amie lui admet ne pas vouloir d’enfant… Mais y songer quand même, d’une certaine façon, à cause de son copain.
« Écoute, Mila… Je te souhaite que se soit l’homme de ta vie et que dans 50 ans vous alliez en maison de retraite main dans la main, ok ? »
Ceci étant dit :
« Mais un bébé, c’est pas un cadeau que tu fais à un homme pour lui faire plaisir au détriment de ce que toi tu éprouves. Si jamais ça ne fonctionnait pas finalement entre vous, y a de grandes chances que se soit toi qui te retrouve avec, pour l’élever toute seule. »
Et niveau gamin à élever en solo, Lola en connaissait un rayon ! Aujourd’hui elle n’avait aucun regret mais parfois, lorsqu’elle se retrouvait seul le soir avec un bébé de quelques mois ou un an qui se mettait à pleurer, alors qu’elle était complètement épuisée, Lola se souvenait avoir pleurer longuement en espérant qu’il arrêterait tout seul de pleurer… C’était humain et ça ne faisait pas d’elle une mauvaise mère. Même les mamans qui n’étaient pas solo pouvaient éprouver ce sentiment d’épuisement et d’oppression. C’était en grande partie cette « charge mentale » qui incombait aux femmes.
« T’en sais rien, peut-être que dans un an ou dans cinq ans tu te sentiras songeuse et prête dans ta tête à t’arrêter devant les vitrines de vêtements pour bébé ou devant les poussettes d’autres mamans. Et que tu auras envie de fonder une famille. »
Et après…
« Et peut-être que tu n’en auras jamais envie. C’est pas parce que tu crois que se serait un sacrifice pour lui de ne pas en avoir que tu dois faire un sacrifice de ton côté aussi. »
Cela étant dit, venant brièvement crocheter le bras de Mila pour l’attirer un peu contre elle, comme un câlin, Lola assure :
« Mais le jour où tu seras prête dans ta tête ou dans ton p’tit cœur, si ce jour arrive, je suis sûre que tu seras une maman géniale. »
Du coup elle rejoignait Mila : peut-être qu’un jour elle serait prête. Lola espérait juste qu’elle le serait vraiment et qu’elle ne se le ferait pas croire pour garder un homme.
Elle rit à propos de Miguel qui pouvait encore changer d’avis ceci dit et comme c’est leur tour, Lola se commande comme prévu une boisson et une frite. Il prend un bagel aussi parce que comme on dit l’appétit vient en mangeant et qu’elle ne comptait pas refaire la queue une seconde fois, surtout que vu l’heure il allait sûrement bientôt y avoir un peu d’affluence.
« Nickel ! »
Ca c’est pour la journée marathon qu’elles se prévoyaient déjà le mois prochain !
« Allez, on graille un petit morceau et on est repartit ! Faut qu’à 15h on ait finit notre tour, histoire que j’ai le temps de repasser à l’appartement avant d’aller chercher Miguel à l’école. »
Mila Hartwood
Mila Hartwood
➤ LIEU D'HABITATION : Albany Park
➤ EMPLOI / ETUDES : Tatoueuse dans son propre salon, une passion qui rythme sa vie depuis des années maintenant.
Lola rigole, quand même, en acquiesçant à propos de la maison de retraite « le plus tard possible ». Mais histoire d’enfoncer le clou :
« Pourquoi ? Tu seras la reine du bal des octogénaires ! »
Elle tire un peu la langue à son amie, sans en rajouter davantage. Elle aurait pu mais bon, Mila était de ces femmes qui appréhende avec anxiété l’âge. Et si Lola essayait elle aussi vainement, dans un coin de sa tête, de repousser l’inévitable, elle était néanmoins plutôt prête avec l’idée que quelques ridules d’expression se dessineraient tôt ou tard sur son visage et que sa peau de soie prendrait du grain, un beau jour.
« Ceci dit on est dans notre meilleure vie là. »
Et même, statistiquement, elles n’y seraient que dans quelques années. Lorsqu’on avait 20 ans on croyait à tort que c’était là « notre meilleur moment ». La vérité c’est qu’on était encore inexpérimenté et qu’on était jugé par toute la société pour ça… Trop jeune pour que notre opinion soit respecté, que notre travail soit apprécié à sa juste valeur… 30 ans, et même 40, c’était l’épanouissement sur bien des plans ! Mais bref.
Lola n’en rajoute cependant pas à propos d’Alejandro qui serait du genre à prendre ses responsabilités. Elle voulait bien croire Mila, surtout qu’elle ne le connaissait pas. Mais elle avait ses propres traumatisme qui faisaient qu’elle était un peu plus méfiante. Et dans le fond, Mila elle même n’était pas totalement objective non plus. Pas la peine cependant de peindre le tableau en noir. Elle vivait sa belle histoire d’amour et c’était le plus important.
Quoi qu’il en soit, Mila a une vision assez responsable des implications d’avoir son propre enfant par rapport au fait de n’être en contact qu’avec ceux des autres.
« Disons que quand c’est les tiens, c’est du H24. Y a pas de pause ni de pointage en fin de soirée pour quitter le job. »
Elle rit avant d’assurer :
« Je te décourage pas : c’est aussi absolument merveilleux. Beaucoup d’amour inconditionnel, plus que personne ne pourra jamais t’en donner ! »
C’était magique de voir tout cet amour dans le regard de son enfant… Cette dépendance, cet attachement. Et c’était réciproque, viscéral. C’était avoir un peu peur lorsqu’il perdait l’équilibre et mal lorsqu’il se cognait quelque part.
« C’est normal que tu doutes. De toute façon aucune mère n’est jamais certaine avant d’endosser le rôle de gré ou de force ! »
On se mettait toujours à douter. A deux ou trois jours de son accouchement, Lola -en proie aux hormones de grossesse aussi, fallait l’admettre- avait fondu en larmes auprès de son frère Juan en lui disant qu’elle avait changé d’avis et qu’elle ne voulait plus accoucher ! Un peur tard vu comme ça !
Les filles s’installent sur une petite table et Lola vient tout de suite piquer une paille dans son gobelet histoire d’aspirer un peu de liquide. Ca faisait du bien par où ça passait !
« Non. Enfin si. Mais c’est pas vraiment un achat. Je dois passer chez le bijoutier histoire qu’il passe son produit miracle sur mon pendentif en argent. »
L’argent c’était bien beau mais ça noircissait à vitesse grand V. Elle aurait pu acheter le produit miracle et une chamoisine elle-même mais bon… Si quelqu’un était prêt à le faire gratuitement pour elle en bijouterie elle allait pas non plus se plier en quatre hein…
Elles se taquinent, l’ambiance est bonne enfant… Loin du drame auquel elles avaient assisté un peu plus tôt. C’était incroyable la psyché humaine et moderne… Être capable, si facilement, d’oublier quelque chose de terrible pour rebondir vers autre chose. Parfois c’était plus long qu’à d’autres moments évidemment… Mais globalement…
Bref. Lola acquiesce alors que Mila, pleine d’une sagesse qu’elle n’avait pas toujours eu -et c’était normal !- lui parle d’éviter la pression… Et de laisser faire le temps. De toute façon si ça devenait obsessionnel, le plaisait entier disparaîtrait. Et avoir un enfant ça devait rester un bout de bonheur.
« C’est toi qui as raison. »
Qu’elle garde donc cet état d’esprit. Mais la conversation devient un peu plus légère… Et Lola lève les yeux au ciel, sourire très amusé aux lèvres, tandis que Mila parle d’une boutique de lingerie. Elle aurait peut-être dû le deviner ! Et en même temps, son amie était de ces blondes plantureuses qui faisaient parfois pâlir Lola d’envie en quelques occasions. Mila avait des formes féminines généreuses sur une silhouette en sablier parfait. Sa poitrine, dans de jolis dessous, devait être de celles qui disent « coucou ! » comme s’ils allaient sortir tous seuls de la dentelle qui les retenait !
« J’en connais un qui doit bien s’amuser quand tu reviens d’un peu de shopping hm ? »
Lola tire la langue à sa camarade après un petit clin d’œil complice, portant sa paille à ses lèvres pour se rafraîchir à son tour.
« Va pour une boutique de lingerie. »
Elle allait peut-être prendre un truc si elle trouvait quelque chose de pas trop cher. De toute façon ce qui était le plus cher était souvent dans le plus sexy… Et Lola aimait peut-être se sentir désirable dans ses dessous mais il était inutile d’y dépenser des fortunes puisqu’elle était… La seule à en profiter ! Il n’y avait pas d’homme dans sa vie, ni en fait ni même en perspective. Et si ça lui manquait parfois, ça avait cet avantage bizarre de ne pas la ruiner en bout de tissu hors de prix et en régime miracle pour « garder la silhouette ». Ceci dit elle était loin d’être épaisse de base, ça aidait. Et puis finalement, en y repensant :
« Je regarderais peut-être les maillots de bain. »
S’il y avait quelque chose de joli, pour profiter de l’été avec un paréo fleurit et des sandales légères. Ça plairait sûrement à Miguel d’aller sur la plage… Parce que oui : il était le seul homme qu’elle pensait emmener là tout de suite ! Encore que… Peut-être que ça plairait à Juan. Et à Stan. Lola a un regard pour son cellulaire avant de l’ouvrir pour aller dans ses sms… Puis de se raviser en reposer le petit appareil. Elle verrait pour leur proposer ça prochainement mais plutôt de vive voix. Parce que là son projet semblait carrément tomber de nulle part…
Lola imaginait bien que Mila ne garderait pas l’info strictement pour elle oui ! Et même si d’aventure elle devait faire partit de ces femmes qui peuvent tomber enceinte sans trop abîmer leur silhouette (elle-même avait eu un ventre relativement petit, accouchant d’une crevette après neuf mois), il y avait forcément un moment où ça « se verrait » un minimum !
En tout cas la conversation passe de ce sujet plutôt très sérieux à quelque chose d’un peu plus léger. Beaucoup en fait ! C’était chouette de pouvoir s’acheter de jolis dessous en se disant qu’on allait plaire à quelqu’un et allumer la flamme ou quelque chose dans le regard de l’autre. Ça devait motiver deux fois plus à l’achat d’ailleurs et les marketeux l’avaient bien compris. C’était pour ça que les dessus les moins confortables mais les plus sexy se vendaient plus cher… Et si Lola était très coquette, qu’elle ne sortait jamais non apprêtée, qu’elle faisait scrupuleusement sa couleur et tout ça… Ce n’était jamais que « pour elle », pour se sentir jolie et très éventuellement désirable. Bref, elle enviait un peu Mila.
La complicité de Mila prouvait à quel point elle songeait effectivement déjà à ce soir lorsqu’elle déballerait ses trouvailles dans la salle de bain pour ensuite laisser à son copain le soin de la déballer elle ! Pour la première occasion, ils ne seraient de toute évidence pas portés longtemps !
Lola en revient néanmoins à son bagel, qu’elle dépiaute entre ses doigts fins, mangeant par petite bouchée comme un oiseau aurait picoré. Elle avait toujours fait ça et ça tenait du toc pour maintenant presque. Un truc qu’elle avait souvent vu sa mère faire lorsque celle-ci grignotait et qui lui était resté dans le subconscient.
Quant à ses projets :
« Peut-être toute une journée à la plage. »
En partant tôt et en rentrant pas trop tard. Quitte à faire le déplacement, elle ne comptait pas y passer simplement une heure ou deux bien sûr. Ça l’afflige encore un peu que Mila propose tout de suite qu’elle y aille simplement avec son fils. Ça lui donnait envie de hurler. Pas contre Mila hein ! Mais contre ce phénomène qui faisait qu’on l’imaginait toujours seule ou ne pouvait faire les choses qu’avec Miguel, comme si d’être une maman solo était une grosse fatalité.
Alors Lola ne répond pas, balayant simplement la suite d’une main, un petit sourire figé aux lèvres. Et puis elle noie cette légère amertume dans une gorgée de sa boisson. Ça lui donnait l’envie de ressortir bientôt, toute cette histoire. D’oublier l’agression, de profiter un peu de l’occasion… Elle allait sûrement se faire ça, emmener Kate si ça la tentait ou bien une autre copine histoire d’aller tâter un peu de la piste de danse. Au moins là-bas c’était elle qui était obligé de remettre Miguel dans sa vie lorsque les gens l’oubliaient !