Getting caught in the middle

 

Il est tard. T’ignores l’heure dans le coin inférieur droit de ton écran, tu sais qu’il est tard. Tes doigts pianotent sur ton ordinateur, un dernier mail. Répondre à un dernier mail et tu rentres. Tu relis, reformules, envoie et t’en ouvres un autre. Le fait est que t’as aucune envie de rentrer chez toi et un monceau de travail qui ne s’abattra de toute façon pas tout seul. T’as abandonné tes talons sous ton bureau, moins formelle qu’en journée, t’es à peu près sure qu’il n’y a plus personne. Sauf probablement Duncan, qui a autant de mal que toi à quitter le bureau. Il n’est pas rare que lorsque tu regagnes ta voiture tu aperçoives une lumière toujours allumée dans son bureau. Il arrive alors que tu lui envoies un message sommaire ‘va dormir’. Vous vous connaissez bien tous les deux et les vouvoiements et autres politesses ne sont de mises qu’en public.

Nouveau mail. La période est particulièrement chargée et le maire, la mairie doit se prononcée sur tout un tas de chose, des choses qui réclament tout un tas de réunion, tous un tas de prise de parole. Tu attrapes ton téléphone pour consulter ton agenda, l’emploi du temps est déjà saturé, mais tu dois pouvoir rogner encore. Tu passes sur twitter, regarde les mentions, cliques sur quelques articles. Tu ne t’arrêtes jamais et le temps file un peu plus, les lumières de la ville s’allume alors que le ciel achève de s’assombrir. Il est tard et tu sors de ta frénésie numérique lorsque tu entends un pas familier dans le couloir. Tu reposes ton téléphone.

La porte s’ouvre doucement, un demi-sourire étire tes lèvres quand tu tournes la tête. « Juste moi Monsieur le Maire » le ton est gentiment ironique. Ce n’est pas la première fois que tu restes tard et ce ne sera pas la dernière. Tu croises son regard un instant avant de le reporter sur l’écran. C’est simple avec lui. Pourquoi c’est si simple avec lui ? Pas d’engagement rien, tu le soutiens depuis le premier jour, la première nuit. Malgré toutes les complexités politiques, les manigances et les magouilles, avec lui ça reste plus simple que chez toi. « Tu as eu le temps de jeter un œil aux notes que je t’ai laissé ? » Travail sur les prochains sujets de discussions à aborder, recherches documentaires et point de vue qu’il serait préférable qu’il affiche. La politique c’est une question d’apparence, une question de communication, et elle est douée pour dénicher les sujets et les positions à tenir, les débatteurs pertinents et les détracteurs risibles. « Ah ! » s’exclame t-elle en sortant un carton d’invitation d’un tiroir. « Le mariage de la fille du Sénateur Keough » tu le poses sur ton bureau « Il faut que tu y ailles » Le carton réponse est posé sur le bureau, tu as posé un stylo, c’est usuellement un travail de secrétaire mais pour ce qui est des invitations tu sélectionnes au préalable ce qui est bon pour son image.

Il est tard pour parler boulot, mais vous y êtes encore après tout. Tu te détaches finalement de ton bureau, te redresse et passes une main sur tes cervicales raidies par ton immobilisme prolongé face à l’écran. En temps que porte parole, t’as un bureau à toi, un assistant parti depuis quelques heures déjà et une vue sur la ville qui n’a pas été camouflé par les grattes-ciels tout autour, tu t’y abimes un instant dans l’observation de cette ville, prenant le temps d’apprécier ta place et le pouvoir qu’elle t’octroie.