Tu as l'impression que ça fait des semaines qu'elle t'ignore. Mais peut-être que c'est effectivement le cas. Que ça fait autant de temps que ça, qu'elle ne t'a pas adressé la parole. C'est même limite si elle a daigné poser les yeux sur toi depuis ce fameux épisode. Si ça ne tenait qu'à toi, tu serais déjà allé trouver Rose pour lui régler son compte une bonne fois pour toutes. Malheureusement, si tu fais ça, tu sais que c'est cuit pour de bon entre Mia et toi. Ce que tu ne peux accepter. Tu n'es pas prêt de l'admettre devant qui que ce soit, mais le fait est que tu t'es sérieusement attaché à elle depuis le temps qu'elle est entrée dans ta vie. Parce que tu t'es habituée à ses sourires un peu gênés, à ses regards en coin et à ses rougeurs révélatrices quand tu as osé, parfois, la frôler ou t'en approcher d'une quelconque façon que ce soit.

T'es persuadé qu'il se serait déjà passé beaucoup plus que ça entre vous, si seulement il n'y avait pas eut les épisodes avec Rose.  Désormais, tu rames complètement. Tu as su te montrer doux et patient. Souriant et conciliant. Tu lui as offert un paquet de libertés et des moments à deux relativement posés et, de ton point de vue, relativement romantiques. Mais elle ne te permet plus de faire tout ça. Elle ne t'offre plus la possibilité de l'approcher. Ni même de lui adresser la parole. Il suffit que tu entres dans une pièce pour qu'elle en sorte. Tu désespères. Mais tu refuses catégoriquement d'en conclure que tu dois la laisser s'en aller. Tu ne sais pas quoi faire mais il est évident qu'il ne s'agira pas de ça.

Ce soir, comme bien souvent, tu rentres relativement tard. Et cette fois, tu décides de ne pas tourner autour du pot plus longtemps. Tu files déjà en direction de sa chambre. Dans laquelle tu entres sans prendre la peine de frapper. Parce que tu ne doutes pas qu'elle ne t'invitera pas à entrer, si tu attends de l'autre côté. Et si on parlait maintenant ? Tu poses une question. Mais le ton est sans appel. Cela tient davantage de l'ordre que d'autre chose.

Tu ne piges pas tout à fait la raison pour laquelle elle se montre à ce point distante avec toi. Tu n'as jamais caché le monde duquel tu venais. Tu ne pouvais pas, alors que tu l'as quand même acheté à son père. Elle se doutait forcément que tu n'étais pas un homme tout blanc et irréprochable. Alors soit, elle aurait pu s'imaginer que tu n'étais pas si méchant que ça. Qu'il ne s'agissait que d'une façade pour donner le change dans ton monde. Quoi qu'il en soit, la vérité a été brutale et elle a eut toutes les peines du monde à accepter la chose. A t'accepter toi, tel que tu es vraiment. Il faudra pourtant bien qu'elle accepte. Parce que tu n'as pas l'intention de la laisser t'échapper. Il est trop tard pour ça. Surtout, tu ne penses pas pouvoir en trouver une autre qui sera plus à même qu'elle, de te convenir.

Tout naturellement, tu t'imposes à elle ce soir. Parce qu'il faut bien ça si tu souhaites parler avec elle. Elle qui continue de t'éviter comme la peste. Quand elle ne fait pas comme si tu n'existais pas du tout. Tu grinces des dents quand elle t'accueille avec une certaine distance glaciale. Encore. Elle ne change pas d'attitude. Tout au contraire.  T'es capable de te planquer dans un coin pour ne pas avoir à me répondre. Que tu te contentes de lui répondre avec froideur.

Tu refermes donc la porte derrière toi pour te concentrer sur elle. Et demeure ainsi posté devant elle, pour lui couper toute envie de prendre la fuite. Ne serait-ce même que d'essayer de le faire. Tu comptes faire la gueule encore longtemps ? Je dois dire que c'est pas ce qu'il y a de plus agréable. Alors qu'elle l'était beaucoup plus quand elle était un tant soit peu plus ouverte et avenante. Quand elle vous permettez, à tous les deux, d'avancer dans le même sens. Quand elle ne passait pas son temps à te claquer des portes au nez. Aujourd'hui, tu rames littéralement à contre sens et tu commences à t'épuiser. Toutefois, l'épuisement se traduit par une certaine colère chez toi. Sentiment qui te fait bouillonner et grincer des dents. Et qui te donne plus envie encore de foncer dans le tas, plutôt que de reculer pour mieux abandonner.  Ce n'est tout simplement pas dans tes habitudes d'abandonner quoi que ce soit. T'es clairement trop têtu pour ça.

Tu lui fais face avec toute la froideur qui te caractérise bien, de façon générale. Elle est toujours aussi distante avec toi et tu n'as aucune idée de ce que tu dois faire pour inverser la tendance. Tu as déjà beaucoup de mal à te comporter comme un être humain normal. Et le comportement qu'elle adopte avec toi, n'est vraiment pas fait pour t'aider. Tout au contraire. Te voilà à te tendre plus encore. A serrer les dents et les poings. A offrir un regard mi-rageur mi-glacial.  Tu lui en veux d'avoir tout gâché. Quand bien même tu sais que t'es tout autant responsable. Si ce n'est plus. Tu préfères te dire qu'elle se ment simplement à elle même. Dans le fond, elle ne pouvait que se douter du fait que tu n'avais rien d'un ange. Que tu n'étais pas uniquement un richissime cuisiner, propriétaire de plusieurs restaurants à travers tout le pays.

Tu te fous de ma gueule Mia ? Tu t'attendais à quoi de la part d'un type qui t'a acheté auprès de tes parents ? Tu pourrais tenter l'ironie, si tu n'étais pas si énervé. Si tu ne lui en voulais pas tant. T'as été sincère avec elle, quand tu te montrais doux et attentionné. Quand tu lui offrais des sourires tendres et que tu cuisinais pour elle autant que pour toi même. Tu t'es montré sincère en tentant de la séduire et de la convaincre qu'elle pourrait être heureuse à tes côtés. Mais en guise de réponse, elle a pris la fuite en s'éloignant autant que possible de toi. Elle t'a tourné le dos et aujourd'hui encore, refuse que tu l'approches davantage.

Tu t'en doutais forcément, que j'étais pas juste un petit cuistot bien sympa et bien riche. T'en es certain. Parce qu'elle est peut-être relativement naïve, elle est aussi supposée être très intelligente dans le genre. Grâce à toi, elle fait de grandes études. Tu ne peux imaginer qu'elle soit stupide au point de ne pas comprendre dans quel monde tu évolues. Mais pour une raison que tu ne comprends décidément pas, elle semble s'être voilée la face pendant tout ce temps. Et tu crois qu'on va faire ça encore combien de temps ? Vivre ensemble en s'évitant ? En s'ignorant ? Tu penses qu'on va pouvoir supporter ça longtemps ? Que moi, je vais supporter ça sans rien dire ? T'as la rage et pourtant, tu n'as pas l'air de vouloir la brusquer plus que ça. Tu restes à bonne distance. Parce que même si tu ne l'avoueras pas, l'idée qu'elle puisse te repousser ou te fuir si tu oses amorcer le moindre geste dans sa direction, t'effraie. T'es bien certain que ça pourrait te blesser. Aussi sûrement que son silence te blesse depuis quelques jours. Tu ne devrais pas être rendu là, en si peu de temps. C'est pourtant un fait indéniable à tes yeux. Inconnu aux siens, normalement. Parce que tu ne montres rien. Jamais.

T'es clairement à bout et tout bonnement incapable de ne pas le lui montrer. Pour la simple et bonne raison que t'es arrivé à ce point où tu ne peux te contenir. T'as fait trop d'efforts depuis le premier jour. T'as tout fait bien comme il fallait, dans l'espoir de la faire capituler. De lui donner l'envie de rester à tes côtés. De lui faire vivre une vie qu'elle ne saurait refuser. Pourtant elle continue de te donner du fil à retordre. Prétextant être très désagréablement surprise par l'homme que tu es finalement "en vrai". T'aimerais inverser la tendance mais tu ne vois pas du tout comment tu pourrais faire ça. Alors la frustration prend le pas sur tout le reste et tu pètes littéralement les plombs face à elle. Sans pour autant avoir le moindre geste brusque. Loin de toi l'envie de la traumatiser pour de bon en lui faisant peur. Ou pire, en levant la main sur elle.

Faire exploser la caisse d'une tarée, c'est pire que d'acheter une gamine à ses parents ? Que t'ironises, toujours avec la même rage mal contenue dans la voix. Tu passes outre le fait que tu sois également responsable de la rechute de Rose. Tu la savais fragile concernant la drogue alors tu ne t'es pas fait prier pour lui filer ce qu'il fallait pour retomber pleinement dedans. Elle avait peut-être commencé avant que tu ne t'amuses à ça de toute façon. Alors tu ne peux supposer que tu es responsable de tous les maux de sa vie non plus.

Tu reprends la parole pour lui demander son avis maintenant. Tu veux connaître ses intentions. Savoir si elle pense pouvoir t'éviter comme ça encore longtemps. Si elle s'imagine que vous allez supporter de vous éviter comme ça, sans plus jamais vous adresser la parole. Tu crains qu'elle n'ait rien contre l'idée. Alors que de ton côté, elle te manque déjà la douce Mia qui t'offrait des sourires timides et des rougeurs adorables. Les mots qu'elle finit par prononcer, sont à peine audibles. Pourtant tu entends bien. Du moins tu le penses. Alors que tu tends l'oreille pour les discerner et que de son côté, elle ose s'approcher de toi à pas légers. Elle se poste à ta hauteur et tend la main pour trouver la tienne. T'es surpris mais tu te laisses faire. Le regard rivé sur son visage alors que de son côté elle évite bien volontiers ton regard. Tu ne souffles le moindre mot. T'es toujours aussi silencieux. Elle a un pouvoir certain sur toi Mia. Sans le savoir, sans doute, elle parvient à t'apaiser sans trop de mal. Te voilà à te laisser de plus en plus aller à ce geste innocent mais suffisamment doux pour provoquer un quelque chose chez toi. Alors tu soupires et tu refermes tes doigts autour des siens en retour. Et après une courte hésitation, tu effaces un peu plus encore la distance entre vous. Tu viens coller ton torse à sa poitrine et poser ton menton sur sa tête. Tu ne la prends pas vraiment dans tes bras, pour le cas où elle changerait encore d'avis et souhaiterait s'éloigner. Tu te contentes de ça, sans mot dire. Les mâchoires encore un peu serrées mais les yeux moins sombres.