T'es pas de ceux qui s'inquiètent facilement. T'es plus du genre à être patient, à prendre le temps et à ne pas te précipiter. Tu ne serais pas où tu en es aujourd'hui si t'étais impulsif en même temps ; le monde de la politique est impitoyable. Lorsque l'on veut y faire ses preuves, il faut savoir avancer pas à pas, y aller doucement et avec prudence.

Pourtant, quand il s'agit de ta fille, l’inquiétude est vite là. Le fait qu'elle soit partie de la maison des semaines durant n'est pas pour te rassurer, bien au contraire. Tu as tout de même continué à verser régulièrement de l'argent sur son compte en banque (et peut-être même plus que d'habitude). Heureusement, tu l'as eu au téléphone plusieurs fois, ce qui a (plus ou moins) permis d'apaiser tes craintes. Tu savais qu'elle allait rentrer, alors tu t'es efforcé de ne pas trop t'en faire. Pas plus que nécessaire en tout cas.

Maintenant, tu sais qu'elle est de retour et tu as bien l'intention de profiter de sa présence. En arrivant dans l'entrée, tu devines pourtant bien vite que tout ne sera pas de repos. Pas comme tu l'aurais espéré, en tout cas.

A peine as-tu eu le temps de retirer ta veste et de l'accrocher au porte-manteau, qu'une voix se fait entendre. Ton agressif, exaspéré plutôt. Ta femme est en train de demander des comptes à ta fille. Fidèle à toi-même, tu décides de voler au secours de cette dernière. Sans réfléchir aux conséquences possibles d'une éducation aussi bancale et pas du tout égale (un parent dit oui, l'autre dit non ; un parent punit, l'autre récompense ; ...). Tu débarques dans le salon, où se trouvent effectivement les deux femmes. Sans même poser un regard sur celle qui partage ta vie depuis des décennies, tu t'adresses à ta fille : « Sam... » Ton sourire trahit la joie que tu ressens de la voir. Et la joie surpasse la crainte, pour l'instant en tout cas (et parce qu'elle est là, sous tes yeux, en parfaite santé). « On va manger un morceau en ville ? Rien que tous les deux. » Comme si tu avais besoin de le préciser : même sans le dire, tout le monde aurait aisément pu le comprendre. Et ta femme l'avait sans doute prédit parce qu'elle lève les yeux au ciel (ce que tu ne vois pas, tout indifférent que tu es) et quitte la pièce en trombe. Ne restent plus dans le salon que toi et ta fille, et c'est bien mieux ainsi.