Ashton était chez lui. Pas que se soit une énorme surprise : c’était souvent le cas. Levé depuis quelques heures à peine parce qu’il vivait non seulement en marge de la société mais en plus en parfait décalage avec elle ! Pour être précis : Ash sortait de la douche. Il en était à boutonner son jean lorsque son frère avait soudainement débarqué, lui qui n’aurait pas spécialement dû se trouver ici. Parce que Robin, comme la plupart des autres membres de la fratrie, ne venaient généralement ici que pour leur mère et personne n’ignorait qu’elle ne serait pas là à cette heure ci, n’est-ce pas ?

Robin entre donc, après avoir frappé… La pièce est encore relativement frappé de lumière. Du moins se serait le cas si ses stores n’étaient pas à demi fermés, ajourant la lumière dans une chambre pas « bordélique » mais encombrée. Comme tout ceux avec sa pathologie ou presque, le rangement était une des choses qui lui permettait de façonner son monde. Néanmoins la pièce était chargée, il fallait l’admettre. Un lit qui avait été fait avant la douche, un premier bureau avec ses écrans, ses disques durs, ses appareils… Puis un autre avec son lot de composant électronique et même un fer à soudé parce qu’il était de ceux qui montent et démonte quelques babioles juste pour la curiosité ou l’intérêt. La console était allumée et tournait en veille sur un écran muet, la manette attendant sur le bureau près d’un clavier…

Pendant deux ou trois minutes, Ash continu de s’occuper, de s’habiller, dans sa bulle comme s’il n’avait pas entendu Robin entrer. Il est dans sa bulle, une expression neutre sur le visage, égale. Puis finalement, sans crier gare, il adopte cette émotion que les gens normaux ont lorsqu’ils reçoivent la visite surprise de quelqu’un de la famille ! Un petit sourire en coin malgré son regard bleu et relativement dénué de joie.

« Salut Robin. »

Et preuve qu’il l’avait bien entendu entrer, il répond avec retard à sa question :

« Non. Tu ne dérange jamais. C’est aussi chez toi. »

De toute façon, si Ash avait été occupé à quoi que se soit que son frère n’aurait pas dû voir, ce dernier n’aurait pas pu pousser la porte. Il y avait deux verrous sur sa porte, rien que ça… Et Ash n’oubliait jamais de les enclencher lorsque c’était nécessaire. Il va jusqu’à une armoire de laquelle il tire un t-shirt qu’il enfile.

« Alors ? C’est moi que tu venais voir je suppose ? »

Peut-être que s’il avait été capable de comprendre les sentiments humains et l’air soucieux de son frère, Ash aurait compris qu’il venait pour parler de la blonde plantureuse qu’il avait ramené à leur mère. Peut-être même qu’il aurait déjà compris parfaitement qu’elle n’était pas « une poupée » mais « la » poupée de son frère. Après il s’en doutait quand même hein… Il ne captait pas les sentiments mais il n’était pas con non plus et savait par essence que « un » et « un » font « deux ».

« J’allais partir faire du sport avant la fermeture. Mais j’ai quelques minutes bien sûr. »

Il était poli et même plutôt sage. Des années chez les scouts ou dans la paroisse du quartier ça aidait à se forger une attitude de jeune premier. Bien sûr Robin n’était pas entièrement dupe et pour cause : Ash savait que des filles avaient dû parler, même si elles n’avaient sûrement pas su expliquer ce qui était arrivé… Elles étaient belles mais pas vraiment futées… Bref.

« Tu ne t’es pas encore pris la tête avec Eli, au moins ? »

Alors si c’était pour lui, Robin était au bon endroit n’est-ce pas ? Ash a un petit regard pour lui, l’air de dire « je t’écoute » même s’il continu de faire ses trucs à côté. Dans l’immédiat ça veut dire attraper une paire de chaussettes propres et aller s’écraser dans le fond de son fauteuil de bureau, le truc ergonomique à souhait, histoire de les enfiler. Mais le fauteuil est au moins tourné vers Robin.

Rien à voir avec Elijah donc et Ash a un petit mouvement de la tête pour dire qu’il avait bien compris. Une chaussette d’enfilée et avant de mettre l’autre il attrape la commande de la clim pour en régler le débit au minimum avant de partir… Qu’elle tourne pas dans le vide mais que la pièce soit fraîche quand il revient et que son matériel ne prenne pas cher avec la température quoi.

« Ha… Mia. »

Ca aurait presque l’air de l’amuser, s’il en avait été capable. Mais c’était ce que son ton sous-entendait en tout cas.

« Alors c’est comme ça qu’elle s’appelle. »

Il n’avait pas demandé et pour cause : il n’avait pas été invité aux présentations à la base. Et voilà que sur quelques intonations brièvement hésitantes, Robin lui confirme qu’elle est sa copine.

« T’en es sûr ? T’en as pas l’air. »

C’était une façon de taquiner sur cette hésitation. Il se doutait bien que oui, Robin était sûr quoi ! Ce genre de relation c’est pas comme trébucher sur quelqu’un un jour et puis finir sa vie avec juste parce qu’elle était sur le passage, finalement.

Robin qui lui précise que sa copine n’est pas une poupée, juste avant de lui interdire de l’approcher. Ha oui. C’était donc surtout pour ça qu’il était venue et pas tellement pour lui faire part de la grande nouvelle ! Il aurait trouvé ça bizarre aussi…

« Je trouvais ça bizarre aussi que tu viennes porter la bonne parole jusqu’ici sans l’amener comme avec maman. »

La deuxième chaussette est enfilée et Ash se redresse quoi qu’il reste assit, se laissant aller dans le fond de son fauteuil qui ploie légèrement. Il observe son frère, tentant un jeu de devinette dans sa tête pour savoir si Robin était inquiet ou en colère ou quelque chose comme ça. Ash était très mauvais au jeu des émotions. Doué dans plein de choses… Mais clairement pas ni dans l’humain ni dans le social. Et s’il savait reconnaître la peur et la souffrance, c’était généralement parce que c’était les plus facilement identifiables pour lui.

« Tu me menaces ? »

La question est bourrée de platitude. C’était même pas qu’il était offensé… Il voulait savoir si s’en était une histoire que les choses soient claires.

« Pourquoi est-ce que je l’approcherais ? »

Avec une innocence qui aurait sûrement pris avec n’importe qui ne sachant pas grand-chose de lui mais qui ne prendrait probablement pas avec Robin, évidemment.

« Maman va encore dire que je ne suis pas sociable si je l’ignore. »

Il se contenterait de la regarder, intrigué par l’interdiction qui avait ainsi été posé. De la déposséder de tout ce qui la composait pour essayer de comprendre ce que Robin lui trouvait. Et il la mettrait sûrement mal à l’aise à 200 % sans même s’en rendre compte… !

Ash a un petit rire, le genre sans joie, juste pour marquer le coup alors que son frère le traite de crétin. Aucune idée si l’insulte est fraternelle ou sincère… Mais comme Robin est capable d’avoir un langage plus fleurit, Ash suppose qu’on en est encore aux insultes bas de plafond quoi ! En tout cas il précise les circonstances dans lesquelles Ash pourrait être amené à revoir Mia et Ash roule brièvement les yeux.

« Je suis très déçu. Pas d’invitation à dîner à trois, alors ? »

Comme si c’était déjà arrivé. Enfin ils avaient déjà été dans un resto tous les deux ou avec un autre membre de le fratrie mais ça commençait à remonter pas mal maintenant ! Un brin joueur sur la ligne de la patience de son aîné, Ash se renseigne de manière un peu piquante :

« Et si c’est elle, qui veut rencontrer l’adorable petit dernier de la famille Hartwood ? »

Il n’y a pas de défi dans son regard alors qu’il accroche celui si similaire au sien de Robin. Mais pas loin. Bleu contre bleu, ils sont une énigme l’un pour l’autre mais pas forcément pour les mêmes raisons il est vrai.

Quant aux menaces, Ash hausse les épaules tout en balayant l’air d’une main, un micro sourire sur les lèvres, comme si cette perspective ne lui était pas si désagréable. Ils s’étaient déjà battus mais on parlait de bagarres de gosses… En général ils avaient plutôt été dans la même équipe. Mais Ashton savait que son frère pouvait cogner dur. Lui aussi cependant hein…

« J’en sais rien. Ca te ferait du bien ? »

Ca le soulagerait, de le menacer, comme il menace ceux qui nuisent à son petit commerce ? Ashton, lui, ça le soulagerait à sa place. Mais en même temps dès qu’il était question de laisser parler un peu la violence il était soulagé… Donc il n’était pas un exemple à proprement parler.

Et si Ash ferait donc bien volontiers de ne pas toujours savoir ce qui se passe dans la tête de Robin (presque jamais en fait) son frère semble être en mesure de faire le même aveu là tout de suite.

« Je pense pas que tu veuilles réellement le savoir. »

Ash ne voyait pas le mal dans ce qu’il avait dans la tête mais il était assez lucide et intelligent pour savoir que le reste du monde, lui, le voyait. Et Robin, même s’il était un être à part et même si Ash n’irait pas spontanément s’en prendre à lui, restait « comme le reste du monde ».

« La confiance c’est clairement sous-côté dans ton domaine professionnel. »

Il ne parlait pas de la restauration à proprement parler et ils le savaient tous les deux. Il parlait plutôt de ses affaires connexes. Ash n’émettait pas de jugement à ce sujet et s’il l’avait fait il aurait été très mal placé évidemment. A cause des poupées, à cause des données contenus dans ses disques durs et de ses quelques mauvaises actions en terme de cybercriminalité…

« Pourtant c’est la famille. »

Cette fois il planait une sorte de reproche dans son regard qui s’était légèrement obscurcit. La famille, c’était la seule valeur réelle que leur père lui avait inculqué. Peut-être pas de manière normale… Mais quand même.

« Mais je vois que pour toi ça vaut peu de choses dans certaines circonstances. »

Et ça ne plaidait pas trop en faveur de Mia, malgré Robin et ses bonnes intentions. C'est pour ça que l'enfer en était pavé d'ailleurs...

Au moins cette partie là était claire et Ash se contente d’un léger mouvement d’épaules qui veut tout et rien dire.. De « ok » à « je m’en fout » quoi. Quant à la petite pique qu’il lui renvoi, Ashton penche légèrement la tête sur le côté pour mieux observer son frère, tentant de deviner ce qu’il avait dans la tête sans être capable humainement de le faire. Et quand bien même, aurait-il compris toutes les implications que ça avait pour Robin ?

« Ca fait plaisir d’être ton frère. »

Pas que Ash soit toujours très doué dans l’ironie mais pour le coup on était quand même en plein de dans. C’est vrai qu’Ashton avait une façon déviante d’aimer sa famille… Mais il lui semblait qu’au moins lui il l’aimait… Là où Robin semblait vouloir l’exclure si ce n’était l’enfermer à double tour le plus loin possible. Ou le plus profondément…

« Je me demande ce que papa en penserait. »

Surtout lui qui avait fait tant d’effort pour que la famille reste la famille malgré les travers de chacun. Mais à ce stade, tout le monde se demandait ce qu’il aurait pensé de Robin non ? De lui bien sûr… Mais pour lui, son père savait au moins. Pour Robin, il n’avait pas eu le temps d’être déçu ou blessé par son choix de carrière. Il aurait été si fier des filles, de Damian et bien sûr d’Elijah, le fils parfait marchant dans les traces de son père. Quelle place serait-il resté au petit Robin qui se pensait meilleur que lui là tout de suite alors qu’il se cachait au moins autant que lui de ses activités. Est-ce qu’Ashley était pire parce qu’il y prenait du plaisir ? Parce que le fait de s’en prendre à une femme ne le faisait pas sourciller ? Amen ! Robin, le grand défenseur des causes perdues, des prostitués et des drogués.

« Tu es un tel modèle de sainteté. »

Avis aux futurs petits Robin qui viendrais se nicher sous le nombril de Mia et qui sortirait de là pour pousser leurs premiers cris. Ash espérait presque que l’un d’eux lui ressemblerait… Juste pour la curiosité et l’expérience scientifico-sociale de savoir ce que Robin en ferait, de cette progéniture qu’il dénigrerait avec le même talent que celui qu’il utilisait présentement contre lui.

Quant à la violence, Ash a un petit rire sans joie. Pas contre la famille ?

« Quand tu parles, on ne dirait pas que tu me considère comme de la famille. »

C’était lui qui creusait le fossé entre eux. Une partie d’Ashton était en colère contre ça, sans pouvoir expliquer la raison. Peut-être simplement parce qu’il pensait que ce choix n’appartenait qu’à lui. Et pour ce qui était de leurs différences à tous… Cette fois Robin marquait un point, c’est sûr.

« Chez toi on dirait que ça sous-entend qu’aucun de nous n’est de la même planète. »

Ou qu’il aurait préféré que se soit le cas. Et lorsque Robin veut s’assurer qu’ils sont « d’accord », Ash arque un sourcil.

« Non. Bien sûr que non nous ne sommes pas d’accord. »

D’ajouter toutefois :

« Mais est-ce que j’ai le choix de suivre tes instructions, herr kommandant ? »

Voilà qu’il n’avait plus besoin de se trouver des raisons de s’ostraciser ! C’était Robin qui le refoulait loin de sa vie de famille en devenir, sans comprendre qu’il aurait mieux fait d’inclure Mia à la meute dont il faisait partit plutôt que de l’opposer à lui. D'en faire une étrangère au nid...

« Papa savait exactement qui j’étais. »

Enfin… Il exagérait un brin, parce que leur père avait finit par se bercer d’illusions à son sujet. Mais à la toute base, il avait su. Il l’avait pris entre quatre yeux dans l’espoir de faire de lui quelqu’un de meilleur. Il était mort de voir Ashton dévaler la pente ultra savonneuse dont il avait essayé de le préserver mais s’il y avait une toute petite chance pour qu’il existe une vie après la mort d’où les disparus pouvaient les observer, ça devait le foutre en l’air. Est-ce qu’il se sentait coupable ? Non. Parce qu’il avait l’impression de respecter son enseignement : faire du sport pour se défouler, être solidaire de la famille. Ce n’était peut-être que la base de ce que son père avait voulu pour lui mais et alors ?

Robin tente de le remettre dans l’arbre généalogique et Ash garde le silence, froissé sans doute. C’était trop dur parfois de se plier aux codes sociaux. Une partie de lui enviait Robin comme tous les autres d’être si bien capable d’en user et de faire avec. L’autre se satisfaisait le plus souvent de n’avoir pas à composer avec tous ces sentiments parasites qui semblaient pouvoir les agiter, pas toujours de manière très positive.

Et si Ashton était un bloc d’impassibilité, Robin était comme une carte avec un champ des possibles infinis et Ash, en bon petit frère qu’il était, essayait de retenir sa gestuelle… Sa façon de soupirer, de plisser le front, de se pincer l’arrête du nez et même de se tenir. De les retenir mais de les décoder aussi. Même qu’il demande, curieux :

« Tu es contrarié ? Ou triste ? »

C’était pour son dictionnaire perso. Mais à propos de Mia, voilà que Robin faisait un aveu un peu surprenant. Quatorze mois que sa belle vivait dans l’ombre dans laquelle il l’avait caché.

« Pourquoi ? Tu as honte de nous ? »

Comme souvent, le jugement était absent de sa question. C’était juste, purement et simplement, de la curiosité. Ashton avait une liste de travers longue comme le bras mais au moins on avait rarement à lire entre ses lignes. Par contre Robin était en train de le perdre.

« Ma collaboration ? Je croyais que tu voulais que je ne l’approche jamais ô grand jamais. »

Du coup c’était ça, sa part collaborative ? Continuer de faire comme si elle n’existait pas ?

« Tu attends de quoi de moi ? »

Dans l’espoir que Robin aille droit à l’essentiel. Et si ça peut l’aider à mettre les bons mots aux bons endroits, Ash est prêt, parce que c’est lui, à lui tendre une perche.

« Tu ne veux pas que je lui fasse mal. »

Inutile de couper les cheveux en quatre. C’était ça ? Juste ça ? Ash faisait une différence entre "ne pas approcher du tout" et "ne pas blesser". Alors Ashton fait valoir, trop placide pour ce qu’il était au fond de lui même :

« Je ne fais pas mal à la famille. Pas si elle ne me fait pas mal non plus en tout cas. »

C’était une des très rares règles de son monde. A Robin de voir comment il voulait la jouer, ensuite.